« La conscience est la claire connaissance de la réalité. » Matthieu Ricard, moine bouddhiste
Alors, comme je vous y invitais l’année dernière, avez-vous changé de peau en 2013 ? Moi oui, en partie, en devenir, en transformation intérieure et extérieure… Comment s’est passé votre post «fin du monde» annoncée par les Mayas (mais mal comprise), et début d’un nouveau ? D’abord, nous avons eu au Québec, ce déferlement quotidien de la corruption dans notre système politique et économique, avec les révélations d’une Commission d’enquête. Cela n’est pas terminé, mais salvateur. Il faut que le pus sorte, tout simplement. Pénible, il va sans dire… ce reflet… de nous-mêmes… alors, on s’en souhaite une nouvelle plus… constructive… Passons!
Plus positivement, donc, j’ai fait une expérience en 2013 sur les plans à la fois culturel et spirituel qui m’a plutôt frappée : lors d’une grande danse (1) organisée dans une ancienne chapelle du campus Loyola de l’Université Concordia (donc dans un lieu religieux reconverti, mais avec toutes ces « vibrations » passées), dans une jolie foule bigarrée et artistique de danseurs de 20 à 70 ans, mais surtout dans la trentaine. Une jeune femme a décidé de faire de la méditation au milieu des danseurs. Peu à peu, de nombreuses autres personnes se sont jointes à elle. Ils étaient très beaux à voir et très inspirants aussi. Ça me rappelle aussi les méditations que nous avons faites lors de l’occupation du Square Victoria (rebaptisé Place du peuple) à Montréal en 2011, pendant et après le mouvement Occupy Wall Street.
Dans toutes les grandes places du monde, cet automne-là, les jeunes et les moins jeunes ont médité publiquement, prenant une pause de leur exaspération et espoirs sociaux, politiques, économiques, humains surtout. Pour la première fois depuis très longtemps en Occident, la spiritualité rejoignait la politique, mais d’une nouvelle façon non institutionnelle. On était loin de l’ingérence des évêques, prêtres, imams et autres qui dictent leur vision aux politiciens et au peuple.
Par la méditation, entre autres, un nouveau courant spirituel initié par la génération des baby-boomers prend forme sous nos yeux, sans qu’on s’en rende compte clairement au début. Mais après mon expérience du printemps érable au Québec, de nombreuses discussions, rencontres et lecture de nombreux témoignages (2), je suis à peu près certaine qu’une page vient d’être tournée, et que les sensibilités ont évolué subitement, même si cela est peu apparent pour le moment.
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« Dieu/Dieue » n’est pas une pensée, mais une sensation : c’est sentir dans son corps/cœur le bienfait de l’énergie d’amour et de la connexion avec la nature, incluant le lien avec tous les humains.
Quand Dieu (et tous ses autres noms) devient une pensée, c’est-à-dire une religion, une croyance intellectuelle, obligatoire ou rejetée (ce qui revient au même), c’est là qu’il y a risque de dérive, que ça devient une intention, puis une institution, c’est là que la déformation de l’expérience initiale commence, que les toquades et crispations commencent, et pire, que la corruption commence. Parenthèse, on l’a vu cette année dans notre débat sur la Charte des valeurs québécoises au sujet du port ou non de signes religieux chez les employés de l’État (voir mes autres textes à ce sujet dans l’index ci-contre).
Dieu/Dieue comme sensation donc. C’est probablement pour cela que dans plusieurs spiritualités animistes, autochtones et autres, on a mis beaucoup d’importance à purifier le corps (notamment avec la tente de sudation -sweatlodge- depuis 5000 ans). Chez les chrétiens, entre autres, on a gardé le rituel, mais seulement pour le baptême.
Dans notre culture, ce rituel revient de plus en plus par la porte de l’hédonisme-santé, via la mode des spas, des cures en tous genres, etc.
J’ai lu cette année « Les quatre accords toltèques » sur la sagesse maya (2), de l’auteur mexicain, chamane et enseignant Miguel Ruiz, aussi ex-étudiant en médecine (à cheval entre deux cultures, donc). Quoique j’ai des réserves sur certains aspects de cette pensée, en particulier celle approfondie dans son autre livre « La voix de la connaissance », le fond spirituel de cette communication me semble vraiment pertinent. On pourra peut-être, en 2014, parler de nouvelles armes de… construction massive 🙂 En très résumé, si vous ne le connaissiez pas déjà, il donne cinq conseils comportementaux dans notre vie quotidienne pour trouver et partager la paix intérieure et le bonheur. Ce sont des fondements au demeurant déjà un peu ou même assez connus dans notre culture, mais qu’il est bon de (re)mettre ensemble de temps en temps, ce qui est extrêmement difficile et demande toute une discipline et entrainement mental :
1- Que ma parole soit impeccable. Parler avec intégrité, dire la vérité et ne pas faire de médisance.
2- Ne jamais faire une affaire personnelle des paroles ou actions des autres. Savoir prendre du recul.
3- Ne jamais faire de suppositions. Toujours valider mes impressions.
4- Faire toujours de mon mieux (ni trop, ni pas assez, pas de perfectionnisme non plus).
5- Être sceptique, douter, remettre en question la parole, la mienne et celle des autres.
(dans le même sens, j’ajoute, fini le temps du politiquement correct qui nous a affaibli sur le plan relationnel). De façon intéressante, notons que ce doute systématique, c’est aussi la base de la philosophie de Descartes au Grand Siècle (17e s.) et de la science empirique née de l’observation avec ses sens et de l’indépendance de la religion, poussée par Galilée en Europe. Ainsi une partie des sciences physiques pourront éventuellement rejoindre certaines connaissances ancestrales des premiers peuples. La lecture de certains antropologues nous l’apprend. Et c’est exactement la démarche de certains chamanes des premières nations au Québec, notamment l’Atikamekw Charles Coocoo qui parle de physique quantique.
Ce que Ruiz appelle « l’écran de fumée » qui nous sépare des autres, est un « rêve d’enfer » sur terre : ce sont nos peurs, nos manques qui nous conduisent à mal interpréter la « réalité ». C’est cela qui crée nos souffrances et qui se répercutent nécessairement sur les autres, puisque nous sommes tous liés. En bref, notre (mauvaise) imagination et nos pensées erronées nous dirigent et font du mal en soi et autour de soi. La psychologie classique a appelé cela de la projection, mais je sens que c’est plus profond que cela encore. Il est très difficile de « résister » à un mauvais influx lancé par quelqu’un, parce que la science neurologique nous apprend récemment que nous sommes dotés de « neurones miroirs » qui tendent à réagir similairement et immédiatement à ce que l’on voit, l’on vit, l’on entend autour de soi. Certaines recherches plus récentes font même de ces neurones spécialisées l’origine du langage, ce qui, si cette hypothèse est validée, semble assez fondamental comme connaissance sur l’humain et ses comportements.
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Qu’est-ce qui crée la souffrance ? Notre façon de réagir aux événements de la vie dans nos croyances limitatrices fondées sur la peur. Ruiz propose un genre d’auto-‘reprogrammation’ consciente de notre esprit. Je constate que c’est possible, je me suis trouvé une technique plus personnelle pour faire cela quand je suis très détendue et en contact avec ce que je veux vraiment dans la vie. C’est une façon lente de travailler sur soi, et je vois que cela donne des résultats concrets de façon lente et progressive aussi. Inversement, chez des individus dont l’esprit est tellement effrayé qu’il se coupe de la réalité, cela génère des psychoses, LA maladie mentale la plus grave, à mon avis.
« Rompre nos accords fondés sur la peur » demande du courage et de la persévérance, parce qu’ils sont, au début, toujours inconscients. Une fois cette démarche entamée et continuée, cela permet de trouver son pouvoir personnel de créer la vie que l’on désire. Ruiz dit que les accords fondés sur la peur nous font dépenser énormément d’énergie et c’est souvent plus pour cela (outre les horaires aberrants que nous nous imposons dans la vitesse et la performance et qui font probablement partie de notre peur…) que nous sommes si fatigués, voire épuisés, en dépression ou en burnout. Au contraire, donner son accord à des pensées/situations qui découlent de l’amour nous aide à conserver, voire à obtenir davantage d’énergie.
La peur donc, nous y revoilà… Certaines époques sont fondées sur l’espoir, d’autres sur l’indifférence, le ‘coocooning’ et le repli sur soi, d’autres sur la peur… de soi qui se reflètent dans les autres étrangers à soi; nous y sommes revenus, donc, mais à un autre niveau. En 1948, dans un Québec hypercatholique conservateur tissé serré de la « Grande Noirceur », dominé par les prêtres qui disaient à nos grands-pères et arrière-grands-pères comment penser et à nos grands-mères et arrière-grands-mères combien faire d’enfants sous peine d’excommunication, le peintre Paul-Émile Borduas, un Canadien-français (comme on le disait à l’époque) et chef de file du mouvement automatiste avait écrit dans un manifeste passé à l’histoire, en parlant des artistes et écrivains automatistes :
« Par delà le christianisme nous touchons la brûlante fraternité humaine dont il est devenu la porte fermée.
Le règne de la peur multiforme est terminé.
Dans le fol espoir d’en effacer le souvenir je les énumère :
peur des préjugés – peur de l’opinion publique – des persécutions – de la réprobation générale
peur d’être seul sans Dieu et la société qui isolent très infailliblement
peur d’être soi – de son frère – de la pauvreté
peur de l’ordre établi – de la ridicule justice
peur des relations neuves
peur du surrationnel
peur des nécessités
peur des écluses grandes ouvertes sur la foi en l’homme – en la société future
peur de toutes les formes susceptibles de déclencher un amour transformant
peur bleue – peur rouge – peur blanche : maillons de notre chaîne.»
Borduas, « Refus global » (1948)
À suivre…
Voir la suite au https://evemarieblog.wordpress.com/2014/01/12/lettre-spirituelle-a-mes-amis-2014-2/
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(1) Flow Montréal est organisé par Solomon Krueger «Le Flow est un rassemblement de danse et de mouvement unique où les personnes se rencontrent au sein d’un espace libre de jugement et où elles ont l’occasion d’expérimenter une relation profonde avec elle-même, avec autrui et avec la vie. Lors de cet événement sans alcool ni drogue, tous sont invités à redécouvrir et à célébrer la liberté de bouger ainsi que d’être ému! »
Voir aussi le Flow Lab au http://www.eventbrite.ca/e/flow-lab-lexploration-de-la-rencontre-exploring-the-encounter-tickets-8487986797
et https://www.facebook.com/events/499933570119825/?ref_newsfeed_story_type=regular
(2) Sur un sujet connexe, «Au Pérou comme au Nunavut, [les chercheurs canadiens de l’Université McGill Léa Berrang-Ford et James Ford ont] observé que la transmission des savoirs millénaires permet à la jeune génération de s’adapter aux changements climatiques.» Voir http://www.ledevoir.com/environnement/actualites-sur-l-environnement/396481/a-toutes-les-latitudes-chercher-a-s-adapter