Gabrielle Messier, travaux à Shawinigan-Sud pour O. Leduc, a.d. 1945
De mes archives
22 août 1998
Gabrielle Messier m’apprend que Leduc était le cousin germain de sa femme, Marie-Louise Lebrun (1860-1939), ce qui veut dire que je suis aussi parente de sang avec Leduc, ce qui me rend très fière et très heureuse. À l’époque, cela se faisait encore, quoique rarement (et avec dispense de l’Église). Du côté des Lebrun, ce sont des personnes très habiles de leurs mains. Ernest Lebrun (qui était photographe, je crois?), le frère de mon arrière-grand-mère Marie-Louise, était un inventeur très fameux et aussi conjoint de la sœur d’Ozias Leduc, Adelia… famille tricotée serrée, comme on disait dans le temps… Ernest refusait de se faire payer pour ce genre de travail (selon mme Messier, il craignait de perdre ses contrats, de ne plus être demandé). Entre autres, c’est lui qui a fabriqué et installé la tige du 1er projecteur au théâtre St-Denis (ou Ouimetoscope?) à Montréal, probablement une réparation. Il était beaucoup appelé pour des réparations mécaniques que personne ne réussissait à faire. Il est cependant mort pauvre et oublié, ce qui fâche mme Messier.
Dans cette lignée, mon grand-père était un petit entrepreneur, installateur et réparateur d’ascenseurs aussi. Mon père Pierre était capable de réparer de petits appareils. Selon Maman, il démonta et remonta un appareil-photo Lordomat qu’elle aimait beaucoup en une nuit pour le réparer. Comme à son habitude, il vint, paraît-il, à deux doigts (!) d’abandonner en disant d’abord qu’il n’était pas capable (je suis pareille…), mais avait tout de même persévéré toute la nuit en essayant encore et avait enfin rendu l’appareil fonctionnel le lendemain matin, au grand plaisir admiratif de ma mère.
Marie-Louise Lebrun, un peu plus âgée que Leduc, est morte à 79 ans de rhumatismes en 1939. Elle s’était mariée à Ozias en 1906, à St-Henri, à Montréal, non loin de chez moi [j’ai découvert par la suite que mon arrière-grand-père, Jos-Charles Langevin, meunier, s’était marié en 2e noce à Pointe St-Charles, y a travaillé et eut deux de ses enfants (Arthur et Eugénie)… En faisant des recherches dans le bottin téléphonique, j’ai découvert que le « hasard » fait que j’habite à quelques coins de rue de son logement sur Shearer, près des ‘tracks’ de chemin de fer. Je comprends maintenant pourquoi je me suis exclamée, en déménageant à Pointe St-Charles en 1996, Ah! j’ai l’impression de me rapprocher de mon père (qui venait de mourir et que j’avais perdu de vue depuis plus de 10 ans)…
«Mon portrait» O. Leduc, 1899
25 septembre 1998
Selon mme Messier, Leduc était très « spirituel ». Je n’ai pas été capable de la faire parler pour avoir des détails sur son caractère, ce qui m’a déçue. Elle m’a dit qu’il est mort à l’hôpital (Ste-Hyacinthe, que je saurai plus tard) et elle était là à son dernier souffle. Elle a appelé l’infirmière (une sœur grise) qui est venue, mais au lieu de s’en occuper, la sœur-infirmière a volé les dessins et les pinceaux de Leduc (il a dessiné jusqu’à la fin)! Mme Messier se demande aujourd’hui où sont passés ces dessins-là. Sont-ils restés chez les Sœurs Grises ?
Elle m’a décrit une peinture de jeunesse que Leduc avait un jour donné à sa famille, probablement du côté des Langevin (frères ou sœurs de mon grand-père). Il y avait un petit ruisseau dans le bas du tableau (comme dans le tableau du paysage que je possède) et un jeune garçon assis au bord. C’est donc un 4e tableau du côté des Langevin, mais je ne sais pas où et à qui il est… à moins qu’elle parle du mien?
Ah oui, un détail, Renoir est l’artiste préféré de mme Messier, aussi a-t-elle bien apprécié la page couverture de ce cahier que j’ai choisi pour ce projet… belle coïncidence.
23 avril 1999
L’automne dernier, mme Messier m’a écrit pour me dire qu’elle pensait finalement qu’à partir des photos de mes peintures, elles seraient plus probablement du maitre de Leduc, Luigi Capello (1848-1902). Ce qui m’a tellement découragée que je n’ai presque plus pensé à mes projets de documentaire sur Leduc et que je ne lui ai même pas répondu encore, et je m’en veux un peu d’ailleurs.
J’avais besoin de temps pour mijoter mon affaire et je ne savais pas quoi lui répondre.
Mais comme le dit une amie, Manon Paiement, qui est historienne de l’art, c’est aussi peu vraisemblable que Leduc ait donné à ma grand-mère des peintures qui ne seraient pas de lui et qu’elle n’avait sûrement pas demandées, puisqu’elle n’a jamais mis ces peintures sur ses murs et qu’elle les a mises aux débarras dans la cave de la maison familiale dans Rosemont, Montréal… Sans trop se tromper, on peut conclure soit qu’elle n’aimait pas ces peintures, soit qu’il y avait une gêne avec Leduc.
Maintenant que j’y repense, le mystère reste donc entier, mais je crois qu’il a dû sûrement y mettre sa touche en tout ou en partie à tout le moins puisqu’à sa 1re appréciation des motifs l’été dernier, mme Messier a reconnu en bonne partie l’iconographie de Leduc. Mais peut-être en effet que les arbres seraient de Capello. Mme Messier n’a pas vu les peintures dans leur format original, mais seulement en photo. Elle n’a donc pas pu apprécier la touche qui est ici légèrement texturée (surtout pour le paysage), comme la touche de Leduc, mais en beaucoup moins. Peut-être ces peintures sont-elles parmi les premières qu’il a faites auprès de son maitre Capello, un artiste italien immigrant (apprenti depuis 1886, à l’atelier T. Carli à Montréal) et que cette touche texturée a évolué par la suite?
C’était d’ailleurs l’hypothèse de Laurier Lacroix quand je l’ai vu au printemps dernier pour faire évaluer ces peintures. Il ne pensait pas que c’était des peintures de Leduc, sauf peut-être des peintures de jeunesse. Mais pour des raisons que j’ignore, nous n’avons pas pu explorer cette piste, comme il m’avait dit vouloir le faire.
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Comme je nage dans les demandes de subvention pour mon travail au MAI ces jours-ci, je viens d’avoir l’idée (dans mon bain, entre le sommeil et l’état de veille –état que je préfère d’entre tous!) de demander une bourse de voyage pour aller réaliser cinq entretiens audio cet été chez mme Messier en Gaspésie.
L’idée d’un voyage pour « tester » mon sujet de documentaire et me faire une meilleure idée sur le potentiel de film me vient de mon ami Adam G. cet hiver, lors d’une conversation où je lui faisais part de ma déception et de mes hésitations. Et voilà que l’idée vient de prendre forme concrètement en moi après trois semaines de grands soucis intérieurs. Est-ce cette germination qui m’a causé tant de tourments?
Je viens aussi d’écrire une page d’une histoire qui m’a été inspirée par un nouveau mot que je viens d’apprendre, la conjugaison de « vivir » à l’impératif : vivid!, que j’ai associé à « livide ». Il y aussi le film « Trahir » qui m’a beaucoup impressionnée cette semaine; c’est l’histoire d’un poète hongrois qui et amené à trahir ses amis pour sortir de prison. Je me suis demandé à quoi servait ma vie. J’ai eu la très désagréable impression de m’épuiser dans le vide, de gâcher mes forces, de ne servir à rien et de vivre dans un monde profondément hypocrite. Une fois de plus, ça m’a tellement donné mal au cœur que j’avais de la misère à me supporter, encore moins les autres en qui je perds confiance, ne sachant où me situer et quoi dire. Les mots qui tombaient de ma bouche m’ont semblé si nuls, si déconnectés…
J’ai enfin réussi à me ressaisir hier (à la lecture du livre de philosophie taoïste « Le Yi-King »), avec un hexagramme qui m’a bien fait réfléchir. Celui de la philosophe et de la créatrice qui n’est pas d’abord sociable, que ça me plaise ou non… Dans un monde si maladivement extraverti, je ne serai jamais à la mode, je ne serai jamais très entourée, je dois m’y faire à cette solitude de l’écrivain, que j’accepte encore mal (car j’ai autant besoin de solitude que d’animation autour de moi).
19 juillet 1999, Matane
De retour en Gaspésie, seule cette fois-ci pour vacances-travail (pour le projet Uniterre à Caplan, chez G. Théberge) et pour rencontrer à nouveau mme Messier.
25 juillet 1999
Le ciel et la mer ne formaient plus qu’un. Une tempête se préparait.
Note de lecture de « Ozias Leduc et son dernier grand œuvre », de Lévis Martin.
1940. Gabrielle Messier présente ses travaux à la critique de Leduc. Il lui donne des leçons en échange d’entrer à son service comme apprentie et assistante. Elle s’occupe aussi des repas et de la santé de Leduc qui a été gravement malade après le décès de sa femme Marie-Louise, sa cousine éloignée [inexact : cousine germaine] et restés sans enfant. M.-L. L a été aussi l’ex-femme de son maitre Capello qui était mort, lui, en 1902.
1941. 1re rencontre-proposition avec le curé Arthur Jacob de la paroisse Notre-Dame-de-la-Présentation d’Almaville-en-bas (Shawinigan-Sud), pour ce qui sera ses derniers travaux qui s’échelonneront sur 13 ans, jusqu’à sa mort en 1955.
Selon l’auteur, Leduc a pu espérer dans cette commande la résolution qu’il poursuivait de cette dichotomie entre le matériel et le spirituel (la lutte de Jacob avec l’ange).
1943, Plusieurs jeunes artistes élèves de Borduas fréquentent l’atelier de Leduc.
« Le zodiaque.
La Terre ? Gîte de l’homme déifié, énumérateur des étoiles […], mais où vont tous les astres de l’espace ? Où va l’homme sous leur éclat réverbéré ? […] Cette route, ce cercle, ces bêtes, ces choses et l’homme qui s’y reflète… Un Néant… ! La gloire d’une étoile violée ! […] Où va l’homme en l’éternité? »
O. Leduc, extrait de la revue Arts et Pensée, no 18, 1954
À suivre…