Affiche du jour de la Terre 2014, tiré de la plateforme Unify  http://unify.org/earthday

Affiche du jour de la Terre 2014, tiré de la plateforme Unify http://unify.org/earthday

MITSHETUTEUAT signifie en innu «ils sont plusieurs à marcher ensemble» (1). Lors de cet évènement nouveau genre organisé à Montréal en avril 2014 par SOS Territoire, le GRIP-UQAM et des étudiant.e.s en travail social de l’UQÀM, ils ont invité, l’espace d’une journée, des militants écologistes, des militants autochtones et des autochtones traditionalistes à se rencontrer pour partager. Les ainé.e.s autochtones appelés grands-pères et grands-mères furent invités à parler en cercle de parole et les autres à écouter et à poser des questions. L’objectif était de « se donner des moyens de créer de l’unité pour la protection de la Mère-Terre ».

Une participante m’a rapporté qu’une situation vint considérablement changer l’horaire de la journée. Les hommes ayant pris beaucoup de temps de parole en matinée, les grands-mères demandèrent d’avoir du temps pour être écoutées à leur tour, ce qui fut fait. Plus tard dans la journée, lors d’un 2e rassemblement plus large, où j’étais, quelqu’un fit devant tous la blague que les hommes n’écoutent pas suffisamment les femmes, ce qui causa hilarité et détente dans le grand cercle de parole…

Un instructif jeu de rôle mené par Richard Renshaw sur l’histoire des Premières Nations commencent notre après-midi, pendant que le cercle de parole avec les écolos, les grands-mères et grands-pères se termine dans une autre salle. On voit comment les territoires autochtones se sont réduits à peau de chagrin (2) depuis le 17e s.

J’y revois aussi agréablement quelques camarades d’Occupons Montréal.

Puis, plusieurs petits cercles de parole se refont auprès des grands-mères, selon notre langue : français, anglais ou atikamek.  Pour ceux et celles qui se joignent, on explique les règles de communication à suivre :

«Dans le ‘cercle d’échange’ ou ‘cercle de parole’ des cultures des Premières Nations, l’écoute et le silence font partie intégrante de la communication de façon plus marquée que dans la culture occidentale. Il est clair que dans ces cercles, personne n’est obligé de prendre la parole. On ne doit pas interrompre personne, chacun parle à son tour dans le cercle ou laisse la parole au suivant. On évite aussi de juger ou de contester de la parole d’un autre membre du cercle.» À la fin du cercle, il faut terminer par un apport positif.

Quelques grands-mères et un grand-père font le résumé de leur cercle de parole.Crédit photo : Vincent-René

Quelques grands-mères font le résumé de leur cercle de parole puis le plus âgé grand-père clôt la journée par un dernier témoignage. Crédit photo : Vincent-René

Dans notre cercle, nous sommes 8. Monique, grand-mère au Lac Simon commence par une courte prière en algonquin et nous demande de nous tenir les mains. Puis elle se présente : elle est enseignante, retraitée et thérapeute à sa façon auprès des membres de sa communauté. Elle nous parle de ses préoccupations face à la nature, face aux jeunes. Puis un échange commence : on se passe le bâton de parole. Quand je demande si elle fait un lien entre la destruction de l’environnement et la condition de la femme, elle me répond : « oui, parce que nous, les femmes, nous ne savons pas si nos petits-enfants auront une terre pour y vivre dignement et en santé. Nous ne savons pas s’ils auront un avenir… », l’air songeur…

Les autochtones traditionalistes impressionnent généralement les blancs, sur lesquels nous projetons souvent notre désir d’«être lavés». Cet état nous amène souvent à les idéaliser, comme l’ont fait les philosophes français Montaigne et Diderot, et Cartier au Canada dans leur mythe du «bon sauvage», du 16e au 18e s. Pendant le cercle, je fais remarquer à un participant que les autochtones ne sont pas un groupe homogène, ce que confirment trois femmes autochtones présentes dans le cercle, dont notre grand-mère. Mieux vaut rester ouvert… les yeux ouverts aussi, sans naïveté ou dogmatisme.

Je me suis sentie très portée par cette journée, par ce que j’ai vécu, par ce que j’ai entendu, par ce que j’ai exprimé. Pour moi, tout cela était hautement signifiant, je dirais même un signe des temps qui changent, vraiment. Il me semble que la prophétie anishinabes du 7e feu se concrétise peu à peu, que les autochtones vont reprendre un leadership très important au niveau de l’environnement et qu’ils vont fortement contribuer à l’amitié entre les peuples, grâce aux «guerriers arc-en-ciel», est-il dit dans la légende. Encore faudra-t-il qu’on y mette tous du nôtre.
Je remercie les organisateurs, notamment, Vincent Dostaler pour cette belle journée, et la Cuisine du peuple d’Occupons Montréal pour nous avoir bien nourris toute la journée.

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La suite ?

«Marche des peuples pour la Terre-Mère»

«Du 10 mai au 14 juin 2014, des citoyen.ne.s se rassembleront [au Québec] pour marcher en moyenne 20 km par jour pendant 34 jours. Ils suivront le tracé des projets de pipelines de TransCanada (Énergie Est) et d’Enbridge (inversion de la ligne 9). L’objectif de la marche est de sensibiliser et de renforcer la mobilisation citoyenne contre l’arrivée des oléoducs de sables bitumineux et les projets d’exploitation des hydrocarbures au Québec. Les marcheurs.euses s’arrêteront chaque soir pour rencontrer les communautés par le biais de spectacles engagés et de discussion sur ces enjeux qui nous touchent tous et toutes directement.

Partant de Cacouana, en territoire malécite, et finissant à Kanehsa:tàke, en terre mohawk, la marche des Peuples pour la Terre-Mère s’inscrit dans une volonté d’unir notre voix à celle des Premières Nations. Ensemble, défendons notre droit fondamental de vivre et d’élever nos enfants dans un environnement sain.»

Alors, ça vous tente ? Il est aussi possible de marcher une petite partie, près de chez vous, à Montréal ou ailleurs.

Financement citoyen : Indiegogo.com
Pour s’inscrire : https://www.facebook.com/peuplespourlaterremere
Plus d’info au http://journal.alternatives.ca/spip.php?article7758

Carte interactive de la marche :

Trousse de mobilisation : https://drive.google.com/file/d/0Bxct2i8nnHB0Y05ITVMzRXBTU2M/edit?pli=1

Démo de la Chorale du peuple pour la Marche : http://choraledupeuple.bandcamp.com/album/pour-la-terre-m-re-d-mo

P.-S. Voir un complément d’info sur le blogue de François Genest : http://atenacite.blogspot.ca/2014/04/mitshetuteuat.html

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(1) Ma formation de linguiste m’amène à observer que dans des langues autochtones, des concepts complexes peuvent être exprimés par un seul mot, chose qui n’existe pas dans les langues latines et anglo-saxonnes. Cette façon de nommer les choses est culturellement très différente et très intéressante, il va sans dire…

(2) L’origine de cette étrange expression est vraiment intéressante. Balzac publie en 1831 son conte fantastique «Peau de chagrin» :

«À la veille de se suicider, un personnage [Raphaël] rencontre un vieil antiquaire qui lui remet un talisman au pouvoir extraordinaire : une peau de chagrin (cuir grenu, fait de peau de mouton, de chèvre ou d’âne), qui lui permet de vivre intensément et passionnément, tout en satisfaisant chacun de ses désirs. Cependant, chaque fois qu’un de ses souhaits est comblé, la peau se rétrécit inexorablement, et il en va de même de sa vie. Ce pacte avec une puissance infernale est l’allégorie du désir destructeur, de l’écart persistant entre les passions et les possibilités de la nature, puisque la vie s’épuise à mesure que désirs et jouissances s’accumulent.» Michel Laurin -Anthologie Littéraire

À la lumière des enjeux du XXIe s., n’est-ce pas encore une formidable image de ce qui nous arrive à notre environnement ? et une formidable explication à la fois simple et complexe  de la psyché faustienne de l’homme blanc qui détruit trop souvent tout sur son passage?

Les préoccupations et la façon d’écrire des auteurs du mouvement romantique européen (19e s.) sont souvent très proches des auteurs contemporains, comme un retour de cycle. Voir à ce sujet mon article sur Musset au https://evemarieblog.wordpress.com/2014/03/04/alors-sassit-sur-un-monde-en-ruines-une-jeunesse-soucieuse/